Déclic Décrypte : la proposition de loi Duplomb.

La loi Duplomb : Une remise en cause des avancées environnementales de la dernière décennie ?

A l’occasion de manifestations prévues ce week-end (28 et 29 juin) contre la proposition de loi (PPL) visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, ou PPL Duplomb, Déclic Collectif décrypte le contenu initial de la proposition de loi dont les dangers ont été soulevés par plus de 1000 médecins et scientifiques dans une lettre ouverte en mai 2025.

Le contexte politique d’une loi polarisante : 

Cette loi porte le nom du sénateur LR de la Haute-Loire Laurent Duplomb, ancien membre de la FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats des Exploitants Agricoles) et ayant précédemment porté un amendement visant à supprimer l’Agence Bio (qui a pour mission d’analyser le marché du Bio en France, mais aussi d’informer les consommateurs et de participer à la construction d’une filière Bio en France). Si la FNSEA et les Jeunes agriculteurs, un autre syndicat agricole, soutiennent cette proposition de loi, la Confédération Paysanne, l’Union Nationale de l’Apiculture Française et la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique, d’autres syndicats, s’y opposent.

La loi Duplomb a déjà été adoptée au Sénat en novembre 2024, et son processus d’adoption est pour le moins particulier. A l’Assemblée nationale, les Républicains et le Rassemblement national ont utilisé une manœuvre inédite afin de contourner le débat et le vote sur les quelque 3500 amendements déposés par les député.es de gauche, principalement du groupe Écologiste et Social. Bien qu’ils soutenaient le texte, ils ont voté pour rejeter le texte, coupant court au débat et permettant son examen par une commission mixte paritaire. Cette manœuvre, dénoncée comme un “49.3 parlementaire” par la France Insoumise, a donc permis à cette loi de poursuivre son examen en rejetant son examen et son vote à l’Assemblée.

Une régression de la législation sur les pesticides :

La mesure phare de cette proposition de loi est la réautorisation de l’acétamipride, une substance de la famille des néonicotinoïdes, dont les composants sont interdits depuis 2018 et la loi « Pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages ». Si des mesures dérogatoires avaient été instaurées jusqu’en 2022 pour les cultures de betteraves, elles ont été déclarées illégales en 2023. Ces substances agissent sur le système nerveux des insectes, dont les pollinisateurs, desquels dépendent 80% des plantes à fleur, et 75% des plantes cultivées (les pollinisateurs jouent donc un rôle majeur dans la sécurité alimentaire). Elles sont notamment pointées du doigt pour leur effet non-spécifique (l’ensemble des insectes étant touchés), ainsi que leur faible biodégradabilité (elles restent donc dans les sols et les points d’eau pendant plusieurs années). 

Alors qu’un tiers des Français.es ont déjà consommé de l’eau non conforme aux réglementations sur les teneurs en pesticides, cette loi présente des enjeux de santé publique majeurs, les pesticides étant impliqués dans l’apparition de cancers, ou pouvant causer des perturbation de la thyroïde. Les agriculteur.rices sont également plus à risque de développer une série de cancers (prostate, lymphome non hodgkiniens et myélomes multiples) selon une série de méta-analyses conduites par des chercheurs.

Les utilisateur.rices de pesticides pourraient également se faire conseiller pour l’usage de produits phytopharmaceutiques par les vendeur.euses, alors que ces activités sont séparées à l’heure actuelle. En effet, les intérêts économiques de ces dernier.ères peuvent entrer en contradiction avec l’idée d’un usage raisonné et strictement nécessaire de ces substances. 

Plus généralement, la proposition de loi propose aussi la fin de la nécessité d’avoir une agrémentation pour vendre des pesticides. Cette certification est donnée lorsque les personnes disposent d’une assurance couvrant leur responsabilité civile et professionnelle, et de pratiques garantissant la protection de la santé publique et de l’environnement.

Des zones humides moins protégées, un cycle de l’eau perturbé :

Une section de la proposition de loi vise à modifier la conciliation entre les besoins agricoles en eau et la gestion de la ressource. Dans un contexte de raréfaction de de la ressource en eau et de la diminution de sa qualité, l’agriculture est amenée à être fortement impactée dans les prochaines décennies par les conséquences du changement climatique.

Dans ce contexte, la proposition de loi vise à faciliter le stockage d’eau en déclarant “d’intérêt général majeur” les ouvrages de stockage d’eau, bénéficiant de mesures dérogatoires sur la protection des espèces naturelles. Alors que la biodiversité décroît à un rythme jusqu’à 1000 fois plus élevée que le rythme naturel , à cause des changements d’usage des sols et de la surexploitation des ressources naturelles (dont l’agriculture intensive), ces projets contribuent à dégrader localement la biodiversité en fragilisant les écosystèmes. Est également renforcée la place des besoins pour l’élevage dans les politiques de gestion de l’eau. A ces mesures s’ajoutent la possibilité de prélèvements plus importants pour l’agriculture, l’irrigation et l’élevage.

Le texte initial proposait également de créer un statut de “zone humide fortement modifiée”. Les projets de stockage d’eau ayant un impact considéré faible sur ces zones humides ne seraient pas soumis à autorisation (voir paragraphe suivant) au titre de la préservation des zones humides. Ces dispositions ont été supprimées en commission, mais sont réapparues lors de l’examen en séance publique du texte.

Autorisations facilitées pour les élevages industriels :

En France, un certain nombre de projets doivent faire l’objet d’une autorisation spécifique en raison des risques environnementaux qu’ils représentent ; on parle d’installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Des installations de stockage de déchets inflammables, des usines sont des ICPE, au même titre que les grands élevages industriels. La loi Duplomb vise à augmenter le seuil  d’animaux   nécessitant une autorisation, passant par exemple de 40 000 à 85 000 têtes de volailles. Actuellement, une infime minorité d’élevages sont soumis à ces autorisations, mais faciliter la création de ces projets se fera au détriment de plus petites exploitations, qui prônent souvent des modèles agricoles moins intensifs. Une nouvelle fois, les intérêts de la FNSEA et du modèle agricole intensif industrialisé, qui regroupe les grand.es exploitant.es agricoles, se transcrivent dans le contenu de la proposition de loi Duplomb. 

Une nécessaire remise en cause du modèle agricole ?

Enfin, dans un objectif de respect des accords de Paris, l’ADEME a envisagé 4 scénarios, dans lesquels la diminution de la consommation de viande joue un rôle essentiel dans la réduction des empreintes carbone individuelles. La proposition de loi Duplomb apparaît alors en totale opposition vers cette nécessaire transition des modèles agricoles, prônant une vision industrielle de l’élevage, et une agriculture toujours plus intensive et dérégulée.

Conclusion : 

Au-delà d’une régression indéniable sur les acquis environnementaux dans le secteur agricole obtenus ces dernières années, cette proposition de loi s’inscrit dans un contexte de retour en arrière sur certaines réglementations environnementales. Dernièrement, les député.es ont acté la suppression des Zones à Faible Émission (ZFE),  remis en question des politiques de sobriété de la consommation foncière (au travers du ZAN) ou encore voté (avant de rejeter le texte ultérieurement) un amendement instaurant un moratoire sur le développement de projets éoliens ou photovoltaïques. Enfin, il est important de noter que le texte final de la proposition de loi “Duplomb” qui sera proposé par la Commission mixte paritaire, sera grandement modifié par rapport au texte initial, dont plusieurs dispositions ont été jugées inconstitutionnelles. 

Pour nous aider à s’opposer à cette proposition de loi, tu peux interpeller ton député.e ou ton/ta sénateur.rice grâce à l’outil Shake Ton Politique !
C’est par ici : https://shaketonpolitique.org/interpellations/loi-duplomd/ 

Sources :

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