Pressé par la réduction des approvisionnements due à la guerre entre la Russie et l’Ukraine, le gouvernement français souhaite engager l’ensemble de la société vers des économies d’énergie.
« Nous appelons à une prise de conscience et à une action collective et individuelle pour que chacun d’entre nous change ses comportements et limite immédiatement ses consommations énergétiques, électriques, gazières et de produits pétroliers ». Non, ces mots imprimés dans le Journal du Dimanche le 26 juin dernier ne sont pas tirés de la bouche d’un activiste pour le climat, encore moins d’un scientifique. Le triumvirat qui signe en bas de page a d’ailleurs de quoi faire tiquer : Jean-Bernard Lévy, PDG d’EDF, Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, et Catherine MacGregor, directrice générale d’Engie. Le 3 juillet, 84 dirigeants d’entreprise leur enjoignaient le pas dans une nouvelle tribune parue dans le JDD, appelant à faire de « la sobriété énergétique un choix collectif ». Prise de conscience ou annonce en trompe-l’œil ?
La France au pied du mur
En fait, les inquiétudes du trio d’énergéticiens entrent en écho avec celles du gouvernement, et de l’Europe toute entière. Au premier plan : la crainte de devoir affronter des pénuries d’énergie l’hiver prochain. Dans ce contexte tendu, la centrale à charbon de Saint-Avold, en Moselle, devrait d’ailleurs redémarrer en fin d’année « à titre conservatoire, compte tenu de la situation ukrainienne » et des tensions sur le marché de l’énergie. Fin juin, les 27 ministres européens de l’énergie ont annoncé un plan de sobriété énergétique englobant particuliers, entreprises et grandes surfaces. Mais ce plan est destiné à s’ajuster en fonction de chaque pays.
C’est donc le nouveau pari du gouvernement, annoncé au début de l’été : réduire la consommation d’énergie en France de 10% d’ici deux ans par rapport à 2019. Et le défi est de taille : le 30 juin dernier, le Haut Conseil pour le Climat pointait du doigt le manque de réactivité de la France face à l’urgence climatique, lui reprochant notamment de ne pas parvenir à mettre en place une planification efficace. Pour le Conseil, les financements sont encore aujourd’hui inadaptés pour les rénovations énergétiques globales, l’accompagnement erratique de l’éradication des passoires thermiques, ou encore le déploiement des énergies renouvelables.
Une feuille de route encore floue
Si l’objectif est clair, le chemin pour y parvenir ne ressemble pour le moment qu’à une esquisse. Le mercredi 29 juin, la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher rencontrait les acteurs de la fonction publique autour du ministre Stanislas Guerini. Deux jours plus tard, elle accueillait les partenaires sociaux vendredi, autour du ministre du Travail, Olivier Dussopt. L’objectif était alors de fixer des feuilles de routes pour l’Etat, les administrations et les grandes entreprises afin de lancer dès cet été des mesures d’économie d’énergie.
Un projet qui n’est pas sans rappeler les initiatives prises lors des chocs pétroliers dans les années 1970. En 1973 et 1979, la population avait été invitée à opérer des efforts drastiques au quotidien. Illustrée par un bonhomme rose avec un gros ventre et une tête prolongée d’un entonnoir, la « chasse au gaspi » et ses limitations de vitesse partout dans l’hexagone avaient permis d’économiser 225 000 tonnes de pétrole sur la seule année de 1979. Toujours pour les particuliers, on a pu aussi évoquer la piste de logements plus petits et plus faciles à chauffer.
La France pourrait aussi s’inspirer de ses voisins européens, ou plus lointains. En Allemagne, le plus grand consommateur européen, et le plus dépendant du gaz russe, l’Etat a mis en place des trains à moindre coût pour éviter de prendre la voiture. Dans les bureaux des services publics, le climatiseur se déclenche désormais à 26 °C au lieu de 22 °C. Au Danemark, la moitié des 400 000 foyers du pays qui se chauffent actuellement au gaz basculeront vers un raccordement au chauffage urbain ou vers les pompes à chaleur fonctionnant à l’électricité d’ici à 2028. À long terme, le gouvernement veut également multiplier par quatre sa production d’énergie solaire et éolienne d’ici à 2030.
Face aux entreprises, un ton encore (trop) conciliant ?
A noter cependant : Agnès Pannier-Runacher, a affirmé au sein du groupe de travail sur la sobriété énergétique des entreprises ne pas chercher à être « prescriptive. » Autrement dit, « le gouvernement ne se met pas dans une position où on vous dit ce qu’il faut faire » a-t-elle ensuite précisé aux entreprises et aux syndicats. Un ton peu contraignant qui se rapproche de celui d’Emmanuel Macron à Belfort le 10 février dernier. Evoquant la sobriété énergétique, le Président de la République affirmait : « Il nous faut changer de modèle en continuant à produire, ne pas priver nos jeunes et nos enfants de ce que toutes les générations d’avant ont eu le droit de consommer. »
Dans ce domaine, la ministre appelle toutefois à faire des efforts sur les déplacements (par exemple les trajets entre le domicile et le travail), la gestion des locaux (températures, éclairages…) ainsi que l’organisation de l’entreprise (télétravail, horaires décalés…)
Le gouvernement donne aux partenaires sociaux et fédérations professionnelles jusqu’à septembre pour proposer « des recommandations simples et opérationnelles » en faveur de la « sobriété ».
Être plus prescriptif aujourd’hui pourrait cependant nous éviter de devoir rationner cet hiver. Face à cette réalité, Déclic appelle le gouvernement à prendre la situation en main afin de nous mener vers une société durable plutôt que nous maintenir dans des solutions non curatives et temporaires.
Nos propositions pour repenser notre système énergétique :
- Orienter les citoyens et les villes vers une consommation d’énergie responsable, pour agir sur la demande à travers la promotion de la sobriété et l’efficacité énergétique. Plus d’infos ici
- Promouvoir le développement de la production d’énergie renouvelable citoyenne, afin de développer une stratégie nationale et un cadre réglementaire favorables aux projets d’énergie renouvelable citoyens et participatifs. Plus d’infos ici
- Programmer la sortie propre des chaudières au fioul Pour réduire l’impact environnemental du chauffage en France. Plus d’infos ici
- Créer le label « Faible Intensité Carbone » pour les biens de consommation Pour récompenser les entreprises respectant un seuil d’émissions dans le processus de production, leur offrant ainsi un avantage commercial. Plus d’infos ici
- Répartir équitablement les revenus des Mesures d’Ajustement Carbone européennes Pour conditionner la réduction des fuites de carbone au principe de responsabilité commune mais différenciée. Plus d’infos ici