Ce week-end a lieu en Haute-Garonne le festival Vezania. Parmi les participants, l’association Eloquence de la main. Créée par deux jeunes designers, Alban et Antoine, elle se donne pour mission de mettre l’approche design au service de l’innovation sociale et environnementale. Cette année, ils se sont posé cette question : comment corriger les inégalités dans l’assiette ? Rencontre avec l’un des fondateurs du projet.
Pourquoi avoir voulu participer à ce festival ?
A l’origine, on a décidé de participer parce que plusieurs de nos proches vont y jouer de la musique. Pour nous, c’est aussi l’occasion de rencontrer d’autres jeunes pour parler de ces enjeux, de créer une sorte d’exposition et des outils de dialogues pour voir comment ces projets font écho avec leur propre expérience. Qu’est-ce qu’ils ont à proposer ? Comment ils souhaitent s’engager ?
Pourquoi s’être penchés cette année sur la thématique de l’alimentation ?
Quand nous avons créé l’association en 2021, l’idée était de partir en Asie du Sud pour étudier les rapports entre la production et l’industrie. Ce projet a dû être reporté à cause du covid. Cette année, on s’est intéressé à un sujet majeur de la consommation. C’est un peu le sujet idéal pour venir discuter avec les gens de leur rapport à la consommation, au vivant, à la planète. L’alimentation, c’est ce qui ancre le plus au quotidien notre rapport au monde. La question était, en tant que designers, comment on pouvait réfléchir à cette problématique en apportant du désirable à la réflexion. Comment s’inscrire différemment dans l’écologie de l’alimentation ?
Globalement, l’écologie est un sujet qui touche surtout les classes moyennes aisées. C’est un sujet qui n’arrive pas à concerner les classes populaires. Il suffit de voir les campagnes de sensibilisation, souvent mal formulées, mal préparées. La vulgarisation autour de l’alimentation, avec ces slogans que tout le monde connaît comme « mangez équilibré » ou « mangez bio », ça ne touche pas tout le monde. Et pour nous, la réponse à donner face à ça, c’est de repenser avec les gens comment l’écologie, cette notion beaucoup trop vaste, fait sens au quotidien.
Que va-t-on trouver sur votre stand lors du festival ?
Notre présentation s’inscrit en deux temps. Il y aura d’abord une partie exposition, où on parlera du rapport entre écologie et classes populaires (comment l’écologie ne parvient pas à les atteindre), des inégalités dans l’alimentation, et de la culture des classes populaires, en voyant par exemple comment la culture se forme aujourd’hui dans les banlieues. Dans un deuxième temps, on organisera un atelier de réflexion pour voir ce que le public a compris, quelles sont leurs réactions, qu’est-ce qu’on peut créer ensemble comme messages, comme idées…
Vous parlez d’imaginer un dispositif d’alimentation populaire qui permettrait de rapprocher les quartiers de l’agroécologie et qui favoriserait les « actions concrètes ». Vous pensez à quoi par exemple ?
Ça fait six mois qu’on bosse sur le sujet à fond ! Aujourd’hui, on a les banlieues, la classe ouvrière et la paysannerie qui souffrent de ces inégalités alimentaires, aussi bien en tant que producteurs qu’en tant que consommateurs. C’est encore difficile pour eux de comprendre l’impact de la consommation individuelle. Les consommateurs ne se rendent pas compte qu’en favorisant une certaine forme d’alimentation, ils vont indirectement augmenter ces inégalités. Il faut rapprocher ces agriculteurs en transition avec les classes populaires. Comment favoriser l’accès pour les classes populaires à l’agroécologie ? Comment avec l’existant, on peut déjà beaucoup mieux manger en choisissant ce qu’on achète ?
Aujourd’hui, beaucoup d’organisations, d’associations, s’intéressent à ces thématiques d’alimentation durable populaire. Est-ce un sujet qui prend de l’ampleur ?
Oui, on a par exemple participé à une distribution avec Vrac (Vers un réseau d’achat en commun) à Paris, pour voir comment ça fonctionnait, à qui ça parlait, comment ils communiquaient… Par rapport à l’ampleur de ces enjeux, des décisions prises par le gouvernement, peut-être que ce sujet prend plus de place, mais ce n’est pas suffisant. La majorité des gens n’ont pas une posture assez éclairée sur ces sujets-là. Je pense notamment aux restrictions par rapport à l’usage des pesticides, aux choix qui favorisent, ou non, une agriculture bio. Je ne pourrais pas dire que ça émerge à une échelle satisfaisante.
« L’écologie sans luttes sociales, c’est du jardinage ». L’écologie et la lutte des classes, on en parle de plus en plus ou c’est aussi un trompe l’œil ?
Non, ça parle surtout aux personnes qui sont déjà dans cette « bulle ». Sortie du contexte, je ne sais pas d’ailleurs si la phrase parle vraiment. C’est une phrase profondément vraie, mais elle ne fera sens que si elle est prise dans l’autre sens : on part des classes populaires pour aller vers l’écologie. On change de porte-parole.
Est-ce comme cela que vous abordez le sujet avec votre association ?
Oui, on s’oriente sur ces sujets-là. La posture qu’on va prendre, ce n’est pas faire « pour » les gens, mais faire « avec » les gens. On ne veut pas se transformer en porteurs du projet, mais essayer de trouver des personnes plus légitimes à le faire, comme des habitants par exemple. Comment, en tant que très jeunes designers pas encore diplômés, des designers qui n’ont pas encore bossé pendant dix ans dans une grosse structure, on peut apporter ce regard-là ? Comment le design peut se réinventer pour imaginer des futurs désirables ?
Qu’attendez-vous de cet événement ?
C’est la première fois qu’on va venir réfléchir avec des jeunes d’autres milieux. Ça m’intéresse de voir la manière dont ça va concerner les gens. J’ai avant tout une attente de sensibilisation. On va discuter pour sensibiliser, partager autour de ce sujet-là, qu’ils soient davantage portés sur la table. Comment ça fait sens pour les gens, la manière dont on propose de rapprocher des projets des luttes sociales.
Vous pouvez retrouver Eloquence de la main et leur stand Juste Frais au festival Vezania, du 27 au 29 mai 2022, dans la commune de Gorre en Haute-Vienne. Toutes les informations sont ici. Vous pouvez suivre l’avancée de leur projet sur leurs réseaux sociaux.
Et à Déclic, on propose quoi ?
Comme le rappelle Eloquence de la main, « alors qu’il faut nourrir une population qui devrait atteindre 9 à 10 milliards d’êtres humains vers 2050, les systèmes alimentaires qui se sont développés dans les pays occidentaux au XXe siècle, ne sont pas durables en termes de consommation de ressources naturelles, d’impacts sur le climat et sur la biodiversité. » Aujourd’hui, les classes les plus pauvres sont les moins responsables des émissions de gaz à effet de serre mais sont aussi ceux qui en subissent le plus les conséquences.
Pour lutter contre les inégalités dans l’assiette et rendre plus accessible une alimentation durable pour tous, Déclic propose notamment d’instaurer une sécurité sociale de l’alimentation afin de promouvoir une véritable solidarité alimentaire. On vous dit tout ici !
Pour aller plus loin sur l’alimentation durable et les classes populaires :
- Charlie Brocard, Mathieu Saujot, Laura Brimont (Iddri), Sophie Dubuisson-Quellier (SciencesPo-CNRS, Iddri), « Pratiques alimentaires durables : un autre regard sur et avec les personnes modestes », par là
- Elisabeth Lagasse, « Réseaux alimentaires alternatifs : élitisme ou émancipation ? » par là
- Livre Blanc « Pour un accès à tous à une alimentation de qualité » par là